
La très soutenable légèreté de La Popo
TEXTES ORIGINAUX
De l’invitation lancée à une poète inscrite en bonne et due forme dans le Grand Catalogue des événements littéraires offerts à la clientèle.
Disons, mettons, faisons comme si... bref, admettons l’authenticité de l’histoire où une poète – que nous nommerons tendrement « La Popo » – a bel et bien reçu une invitation fort aimable de la direction du Grand Bureau lui confirmant qu’elle a été répertoriée dans Le Grand Catalogue. Dans cette lettre fort aimable, qui la confirme comme « choix d’activité culturelle », elle apprend, au deuxième paragraphe, que le Grand Catalogue offre aux comités d’animation les conditions contractuelles des fournisseurs et que les comités, suivant leurs choix respectifs, pourront établir des contacts et signer des contrats avec les petits fournisseurs.
Certains sont durs d’oreille. La Popo est dure de lecture. Elle a depuis longtemps contracté la bactérie barthésienne (elle voit le langage) et souffre de méfiance dès qu’elle ne parvient pas à déchiffrer le code langagier en usage dans les procédures de gestion – surtout celui des institutions et, davantage, depuis lecture du deuxième paragraphe de cette fort aimable lettre lui confirmant qu’elle a été répertoriée dans le Grand Catalogue.
Qui est le fournisseur ? se demande naïvement La Popo – car la naïveté de La Popo n’est pas, comme on pourrait le supposer, son plus grand handicap –.
Qui donc est le fournisseur ? se questionne La Popo qui ne recule jamais devant le mystère des sens.
Elle s’impose donc une deuxième et une troisième lecture. (La Popo adore le chiffre 3). À sa troisième tentative de décodage, La Popo est médusée : pas de doute, elle est LE FOURNISSEUR. (Ou la fournitrice ??? Ou la fournisseuse ???)
La Popo s’inquiète.
Qu’a-t-elle fourni ces derniers temps ?
A-t-elle même déjà fourni quelque chose à quelqu’un ?
Une popo peut-elle, même sans le savoir, être un fournisseur de mots, de vers, de strophes, de phrases ?
Bref instant de suspension.
La Popo en profite pour consulter le dictionnaire.
FOURNISSEUR : Personne ou établissement qui fournit habituellement certaines marchandises à un particulier, à une entreprise.
La Popo sait qu’elle n’est pas un établissement. Elle n’est pas établie.
Elle est soulagée d’apprendre qu’elle est une personne. Elle aurait donc fourni, ou s’apprêterait à fournir de façon habituelle certaines marchandises à un particulier ou à une entreprise.
Deuxième instant de suspension.
La Popo doit retourner au dictionnaire et valider la définition de marchandise.
MARCHANDISE : Objet ou produit qui se vend ou s’achète.
La Popo est stupéfaite.
Elle est donc une PERSONNE et, sans même sans rendre compte, elle s’apprêterait, à titre de « possibilité d’activité culturelle répertoriée dans le Grand Catalogue », à fournir un objet ou un produit, qui se vend ou s’achète, à un particulier ou à une entreprise.
La Popo s’agite.
Si elle est répertoriée dans le Grand Catalogue des activités, sera-t-elle à la fois LE FOURNISSEUR et SA PROPRE MARCHANDISE ? Son propre OBJET DE CONSOMMATION en même temps que LE SUJET INVITÉ (ou à consommer) ?
Nouvel instant de suspension.
Que faire ? se demande La Popo qui succombe à la réflexion.
En son siècle, Shakespeare, qui faisait dire à un de ses personnages que la vie est une histoire de fou racontée par un idiot, avait également mis dans la bouche d’un autre de ses personnages (Hamlet) cette terrifiante question : « Être ou ne pas être ». De toute évidence, c’était là une excellente piste à suivre. Mais il faut savoir ÊTRE de son temps. Et le temps, dans cette partie du siècle, c’est de l’argent. Aussi est-il nécessaire de « revisiter » le Grand Will et d’admettre que « la vie est une histoire de sous administrée par un gestionnaire ». Ce qui amène La Popo au carrefour d’une multiplateforme de considérations :
1. envisager la dimension autogérée de son stress ;
2. évaluer sa contribution à la société ;
3. subir une étude de marché quant à une action participative où son taux de productivité personnelle multiplié par sa visibilité offrira la mesure culturelle de sa rentabilité ;
4. établir une synergie entre son elle-même
4.1 la masse critique (que La Popo ne connaît pas personnellement)
4.2 l’opinion publique (en général indifférente à sa poésie)
4.3 et la culture d’entreprise (ouf !)
La Popo n’a plus aucun choix. Elle doit se poser deux questions existentielles : être ou ne pas être fournisseur. Être ou ne pas être une Popo.